En France, la pratique de la chasse par quelque 900 000 chasseurs se traduit par une prise d’otage massive des forêts et campagnes 6 longs mois de l’année, gâchant la vie des promeneurs, vététistes, ramasseurs de champignons qui sortent la boule au ventre, mais aussi des riverains qui ne se sentent même pas en sécurité dans leur propre jardin… La chasse tue, elle blesse, et elle traumatise, comme en témoignent les centaines de messages et appels à l’aide reçus par l’ASPAS et le collectif Un Jour Un Chasseur depuis le 10 octobre 2023, date de lancement de notre grande action en justice contre “la chasse qui tue (aussi) des humains”. Devant l’insuffisance et la disparité des règles de sécurité existantes, nous attendons du gouvernement des mesures draconiennes pour limiter le pouvoir de nuisance des chasseurs, pour que la nature et ses habitants retrouvent tranquillité et sérénité !
Pourquoi les règles de sécurité nationales encadrant la chasse sont largement insuffisantes
Outre l’interdiction insatisfaisante de l’ivresse manifeste à la chasse entrée en vigueur cette saison, il n’existe que 3 règles de sécurité actuellement applicables à l’ensemble du territoire national prévues par l’article L.424-15 du code de l’environnement et précisées par l’arrêté ministériel du 15 octobre 2020 : le port d’un gilet fluo, la pose de panneaux “chasse en cours” à l’occasion des battues, et la remise à niveau décennale en matière de sécurité. S’ajoute à cela une circulaire, dite Defferre, de 1982, qui préconise d’interdire (!) par arrêté préfectoral le tir en direction des infrastructures (routes, chemins de fer, etc.) et des habitations.
Passons en revue ces quelques règles qui, comme vous pourrez le constater, sont bancales en plus d’être tout à fait insuffisantes…
“Attention chasse en cours !”
Ce panneau, obligatoire en cas de chasse en battue aux gros gibiers, a pour but d’informer les randonneurs, vététistes, photographes, cavaliers, automobilistes (bref, tout le monde ou presque) que la zone qu’ils s’apprêtent à traverser présente un risque pour leur sécurité.
Or, comme personne ne sait exactement où se situe la chasse, ni ce qu’ils chassent, ni à combien ils chassent, etc., rares sont celles et ceux à avoir assez de témérité pour oser s’avancer en terrain miné, au risque d’être confondu avec un renard ou un sanglier. Résultat, comme on le constate à travers les nombreux témoignages reçus par l’ASPAS, beaucoup font demi-tour pour se rapatrier sur des endroits a priori sans fusils, ou évitent tout simplement de sortir de chez eux…
Une réalité qui se vérifie par les sondages : selon une enquête IPSOS réalisée en octobre 2023, 74% des Français interrogés déclarent avoir déjà été inquiets de la possible présence de chasseurs au cours de leurs promenades en forêt, et 73% évitent carrément de se promener par peur d’un accident de chasse… Lorsque la Fédération nationale des chasseurs (FNC), l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Gouvernement se félicitent d’une baisse continue des accidents de chasse d’année en année, ils oublient de mentionner qu’il y a de moins en moins de personnes dehors quand les chasseurs font la guerre à la nature…
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Il est évident que ces panneaux, rendus obligatoires depuis 2019 seulement, sont une aubaine pour les chasseurs qui voient là une opportunité pour monopoliser encore davantage l’espace au détriment du reste de la population. Ils savent très bien l’effet dissuasif de ces écriteaux, dont le message est perçu par beaucoup comme “CHASSE EN COURS, FAITES DEMI-TOUR”… Pour les nemrods et leurs gros 4×4 passe-partout, la nature n’est autre qu’un vaste terrain de jeu où on s’amuse à tirer sur des choses qui bougent puis à se prendre en photo à côté de choses qui ne bougent plus : rentrez chez vous les autres humains et laissez-nous faire joujou tranquille avec nos fusils, nos chiens et nos trophées ensanglantés !
Ci-et-là, des cas d’abus nous sont remontés de panneaux qui restent en place toute la saison sur certains chemins ; quand ils ne chassent pas dans le jardin des gens, les chasseurs s’approprient des espaces entiers où tout intrus est découragé d’entrer…
“Attention promenade en cours” !
Entrez quand même, et beaucoup pesteront en vous traitant d’imprudent et d’inconscient. Surtout si vous êtes en habits sombres, kaki ou marron. Certains élus, de mèche avec les chasseurs, ont d’ailleurs voulu rendre obligatoire le gilet jaune pour les vététistes et les promeneurs du dimanche, pour minimiser les chances d’être confondu avec un gibier. Histoire de déresponsabiliser encore un peu plus les porteurs de fusils qui ne savent pas toujours différencier un sanglier d’un être humain… D’ailleurs, à quand la chasuble fluo pour éviter de se faire tuer dans son propre jardin ?
Que le public soit informé d’une chasse en cours, c’est une chose, mais si un accident survient, en aucun cas la responsabilité ne peut être attribuée au promeneur à qui on demande de faire attention et de porter des couleurs vives : le danger ne vient pas des promeneurs mais bien des chasseurs, ce sont eux qui portent les armes tueuses et appuient sur la détente… À eux de faire évidemment attention à leur environnement et d’identifier leur cible avant de tirer ! Quand on sait que même en orange fluo ils arrivent à se blesser et s’entre-tuer, qui peut plaindre un promeneur effrayé qui court rentrer chez lui par instinct de survie ?
Panneau ou promeneur : qui est arrivé en premier ?
Un samedi d’automne, Philippe se lève aux aurores pour partir en forêt, armé de son seul appareil photo. Il sait qu’à cette heure-ci, à bon vent et sans faire de bruit, il maximise ses chances d’observer un peu de faune sauvage avant que ne débarque la horde de tontons flingueurs et tout leur tapage. Ce jour, pas l’ombre d’un cerf ni le grognement d’un sanglier… À l’envol d’un rouge-gorge, c’est un distant vrombissement qui sort le traqueur d’images de sa rêverie : derrière lui, deux 4×4 remontent la piste forestière. Des chasseurs, sans aucun doute… Comme il est à pied, Philippe se fait rapidement dépasser par les nemrods véhiculés qui, en passant, le fixent d’un regard rageur. Finis l’insouciance et le doux chant des oiseaux, place à l’angoisse, aux cris et aux bêtes qui trépassent… Loin de sa voiture, isolé en pleine nature, Philippe prend tout à coup conscience d’être pris au piège au cœur d’une battue, et que c’est sa vie qu’il risque en cherchant l’issue…
Aucun panneau “chasse en cours” n’était posé au départ de la piste, vu qu’il est passé avant leur arrivée. Que faire ? Se cacher au pied d’un arbre et attendre que le massacre prenne fin, ou filer la boule au ventre à rebrousse-chemin ?
Aujourd’hui en France, rien n’est prévu pour répondre à ce cas de figure ; en posant leurs panneaux “chasse en cours” tout autour de leur territoire de battue, les chasseurs tendent de fait un piège à toutes celles et ceux qui se trouveraient déjà dans la zone, et peu importe qu’ils aient endossé à ce moment-là leur gilet jaune…
Les gilets fluos ne sont pas des gilets pare-balles
“Les chasseurs de la Somme distribuent gratuitement 1000 gilets orange aux randonneurs” fanfaronnaient les sites d’actu de chasse en décembre dernier, comme s’il suffisait de porter du fluo pour ne plus ressembler à un blaireau et pour enfin oser sortir dans la nature sans craindre de se faire tirer dessus… D’une part, comme le montrent les statistiques des accidents chaque année, les premières victimes restent les chasseurs participant aux battues (qui sont donc, théoriquement, tout d’orange fluo vêtus), d’autre part, et jusqu’à preuve du contraire, jamais le fluo ne remplacera une bonne paire d’yeux ni ne protégera de la dangerosité d’une arme à feu !
Les couleurs vives sont forcément une aide visuelle dans certaines situations, mais avec des munitions de guerre dont la portée létale peut atteindre plusieurs kilomètres, tirer à travers une végétation dense ou un brouillard intense ne rendra pas plus visible le ramasseur de cèpes qui aura cédé à la flash-mode vestimentaire dictée par les chasseurs…
Un naturaliste ou un photographe animalier, lui, a tendance à s’habiller de vert et de marron pour vivre à fond sa passion, le principe étant de pouvoir observer ou photographier des animaux silencieusement sans dérangement. Pourquoi la passion des chasseurs, ces dérangeurs d’animaux et preneurs d’otage de la nature, serait-elle prioritaire sur celle des autres passionnés ? Imagine-t-on des panneaux obligatoires
“Attention observation naturaliste en cours” devant lesquels les chasseurs feraient demi-tour pour rentrer chez eux l’estomac noué, de peur d’être confondus avec une rosalie des Alpes ou un bousier sacré ?
Une demi-journée de formation en 10 ans…
Troisième et dernière mesure de sécurité issue de la loi chasse de 2019, la remise à niveau décennale dénote à quel point l’État ne prend pas le problème des accidents de chasse au sérieux : cette formation, obligatoire pour tous les chasseurs, est uniquement théorique, elle ne dure qu’une demi-journée et ne débouche sur aucun examen éliminatoire ! Mais il y a mieux : c’est la FNC qui en réalise le contenu et ce sont les Fédérations de chasse départementales qui ont la tâche de la faire passer auprès de leurs adhérents d’ici 2030, avec une totale liberté de mise en œuvre ! C’est ainsi que, pour éviter de s’embêter, plusieurs d’entre elles offrent aux chasseurs le luxe de l’effectuer depuis leur propre canapé, en totale autonomie et sans aucun contrôle…
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Dans le détail, les quatre modules de formation d’une durée totale de 3h30 consistent en la présentation du bilan national des accidents, la reconstitution en vidéo d’accidents survenus, le passage en revue des différentes consignes de sécurité (disparates selon les départements…), et la promotion des actions des fédérations de chasse pour réduire les risques d’accidents.
À titre de comparaison, pour le code de la route, ce sont des dizaines d’heures de préparation avant de passer le code théorique (un examen éliminatoire de 40 questions avec 5 fautes maximum) puis 20 heures minimum de conduite en auto-école avant de pouvoir passer l’examen pratique du permis de conduire. Enfin, une fois le permis en poche, un disque “A” doit être affiché à l’arrière du véhicule pendant 3 ans. À quand un brassard rouge obligatoire pendant les 3 premières années des nouveaux permis ?
Interdiction de tirer en direction des routes… mais pas des sentiers !
En application de la circulaire Deferre de 1982, les préfets ont été invités à interdire à tout chasseur “à portée de fusil” de tirer en direction d’une maison, caravane, route, chemin public, chemin de fer ou autre infrastructure humaine… Oui, sauf que cette circulaire, qui a supprimé dans le même temps l’interdiction de chasser dans un rayon de 150 mètres autour des habitations, n’évoque pas le tir “à portée de fusil” en direction des sentiers de randonnée, qu’ils soient balisés ou non !
Quand on sait que selon l’arme utilisée, une balle pour gros gibier peut tuer jusqu’à 3 km, l’expression “à portée de fusil” est un léger détail qui a toute son importance… De fait, avec l’évolution des pratiques de chasse et l’augmentation du nombre de battues aux sangliers dans des zones de plus en plus périurbaines, il n’y a jamais eu autant de balles qui traversent les haies et bosquets pour finir leur course dans les voitures, les baies vitrées ou les murs des habitants…
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C’est arrivé cette saison à toute une famille de Seine-Maritime, présente dans le salon au moment où une balle est venue trouer le double vitrage de la porte-fenêtre de leur pavillon ; c’est arrivé à Lucille, près de Nice, qui a vu la vitre de sa voiture se faire fracasser à 2 mètres d’elle ; c’est arrivé à Christiane, en Meurthe-et-Moselle, qui a entendu une fenêtre de sa maison exploser pendant qu’elle déjeunait tranquillement dans la pièce d’à côté… Si ces faits étaient pris en compte et que la circulaire Deferre était appliquée à la lettre, il n’y aurait quasiment plus aucune chasse au gros gibier possible dans les campagnes françaises.
Un “code de la chasse” à la carte dans chaque département de France
Non seulement les quelques règles de sécurité nationales que nous venons de passer en revue sont totalement insuffisantes, mais elles ne sont même pas appliquées de manière homogène partout en France : la plus importante d’entre elles, soit l’interdiction de tirer en direction des habitations, n’est même pas mentionnée dans 25 des 89 schémas départementaux de gestion cynégétique !
Les schémas de gestion cynégétiques ? C’est ici que ça devient le plus folklorique : ce sont des documents d’encadrement de la chasse au plan local, visés par les préfets tous les 6 ans. Ils sont tout entier rédigés par les fédérations de chasse, à qui on confie la liberté d’édicter leurs propres règles de sécurité en plus des quelques règles nationales plus ou moins bien expliquées et appliquées… Tirs fichants, angle des 30°, miradors : les règles locales varient d’un département à l’autre et concernent le plus souvent la sécurité des chasseurs eux-mêmes.
Le 27 novembre 2023, un chasseur de Charente était jugé pour avoir accidentellement tué un autre chasseur lors d’une battue organisée un an auparavant dans le département voisin de la Dordogne. L’enquête révélera que le chasseur avait tiré alors qu’il était traqueur dans la battue, c’est-à-dire celui qui “lève” le gibier avec ses chiens. En Charente, c’est strictement interdit. Seuls les chasseurs postés peuvent tirer. En Dordogne en revanche, c’est autorisé par la fédération départementale, mais “fortement déconseillé”, sauf s’il s’agit de défendre les chiens ou les chasseurs face à un animal menaçant !
Cet accident est tragiquement symptomatique de l’aberration en vigueur : en s’abstenant d’établir des règles claires, strictement applicables partout sur le territoire national, l’État permet à chaque département d’adopter son propre “code de la chasse” : si on appliquait cette hérésie à la sécurité routière, c’est un peu comme si une priorité à droite en Charente devenait une priorité à gauche en Dordogne !
Arrêtons-nous sur quelques autres exemples de schémas départementaux confus et farfelus… Celui du Rhône et de la métropole de Lyon, renouvelé par arrêté préfectoral du 28 août 2023, ne contient ni mention relative au tir en direction des habitations ou des routes, ni prescription relative au “tir fichant”.
Le schéma de Loire Atlantique, qui ne prévoit lui non plus aucune disposition relative au tir en direction des routes ou des habitations, se contente d’encourager les associations de chasse locales à “mieux communiquer avec les autres usagers de la nature”…
Le schéma départemental de la Drôme interdit quant à lui de tirer sur l’emprise des routes mais pas en direction des habitations ; annexé page 96 de ce schéma, l’arrêté préfectoral interdisant ces tirs depuis 1996 est totalement illisible ! En Charente et en Ardèche, les schémas prévoient une interdiction totale de chasser à moins de 150 mètres des habitations, mais rien n’est indiqué quant à l’interdiction de tirer en leur direction…
Le schéma départemental de l’Aude atteint lui un autre niveau de surréalisme, en expliquant qu’il “est interdit de tirer à moins de 150 mètres en direction de tout lieu public et des habitations ainsi que de leurs dépendances”. On comprend ainsi qu’il est autorisé de tirer en direction d’une habitation dès lors que l’on se trouve à 151 mètres de celle-ci, ce qui est totalement délirant quand on sait que la potentielle portée létale d’un fusil est de 1,5 kilomètres et celle d’une carabine de 3 kilomètres ! Autre anormalité, le schéma départemental du Doubs pour qui l’information relative à une battue en cours “n’est pas rendue obligatoire”…
Terminons avec le plus choquant de tous, celui de la Savoie : non seulement il ne prévoit aucune interdiction de tirer en direction des habitations, mais il insiste clairement sur le fait qu’en aucun cas une limitation de sécurité ne doit constituer une entrave à la chasse ! L’Etat cautionne donc un schéma qui place l’importance du loisir de la chasse avant celui de la sécurité de ses citoyens…
Agissez avec l’ASPAS contre les abus de la chasse !
1 – Soutenez notre recours en justice
Si vous avez été victimes vous-mêmes d’un accident ou incident lié à la chasse, témoignez en écrivant à temoignage@aspas-nature.org et parlez de notre action inédite autour de vous !
2 – Libérez vos terrains de la chasse
Que vous soyez un particulier, une mairie, ou une collectivité, vous pouvez créer un refuge ASPAS pour interdire la chasse et protéger la biodiversité sur votre propriété. Vous trouverez toutes les informations utiles sur cette page.
3 – Sollicitez vos élus locaux
Sensibilisez votre député, interpellez votre maire : présentez-leur le guide Maires et chasse de l’ASPAS, élaboré par notre service juridique ! Un maire peut-il interdire la chasse le dimanche ? Empêcher le piégeage sur sa commune ? Refuser aux chasseurs l’accès aux terrains communaux ?… De nombreux sujets sont abordés dans ce guide indispensable disponible gratuitement en version numérique. La version papier coûte quant à elle 26 €.
Cet article en accès libre est constitué de larges extraits de notre grand dossier sur l’insécurité liée à la chasse, publié pour la première fois dans le magazine Goupil n°156 de l’ASPAS en janvier 2024. Vous souhaitez recevoir Goupil, le magazine trimestriel de l’association ? Adhérez à l’ASPAS !